Julie Bernet-Rollande

 

Née à Besançon le 11/02/1974,

Diplômée des Beaux Arts de Besançon,

Vit et travaille aux Grangettes, Doubs, France.


Un monde silencieux

Quand on cherche à définir en quelques mots le monde que dessine Julie Bernet- Rollande, l’idée d’un « monde silencieux » semble s’imposer naturellement. Pourtant, c’est sans doute un truisme de dire que le monde d’aujourd’hui est loin d’être silencieux ; sans doute n’a-t-il même jamais été aussi bruyant. Cette manière de percevoir d’emblée celui de Julie Bernet-Rollande comme « silencieux» marque très certainement le sentiment, en regardant ce qu’elle produit, de cette distance volontairement prise de l’artiste d’avec la réalité hurlante des hommes et de leurs préoccupations immédiates, et de sa sensibilité à un univers qui n’attend rien de l’homme, de toute éternité. La nature, la forêt, la terre, cet « être silencieux »*... Non que la nature soit « silencieuse » - elle grouille probablement des mille bruissements du vivant- mais, à l’instar d’un empirisme « berkeleyien », la nature est sourde à elle-même et seul l’homme, d’une certaine manière, l’entend. C’est donc à cette présence infiniment puissante et massive, et pourtant silencieuse au regard de l’agitation invasive du monde des humains, que se consacre Julie Bernet-Rollande.

 

Ce silence, elle l’exprime d’abord par cet éloge à la lenteur que constitue le choix du dessin. Dans l’éventail des médiums dont un plasticien peut user, le dessin, dans lequel le geste universel du trait de crayon sur le papier renvoie à une temporalité réelle et incarnée, manifeste sans doute le mieux ce temps de l’œuvre en train de se faire, ce temps de la matérialisation de l’œuvre. Travailler lentement, produire peu, tendre l’oreille au murmure de la nature : autant d’attitudes de l’artiste qui longtemps la placèrent loin des standards artistiques, médiatiques et économiques d’un art contemporain soucieux d’épouser les contours du monde hic et nunc.

 

Mais voici que de crise économique en désastre écologique, les interrogations depuis toujours nourries par Julie Bernet-Rollande, dans sa vie personnelle comme dans son travail artistique prennent une dimension nouvelle, et rencontrent aujourd’hui celles d’un monde que nous savons en péril. Et alors les questions du temps qui se vaporise, de la consumation du monde, de l’attention au vivant, qui sont au cœur de son travail, croisent les questionnement les plus actuels.

Elle pourrait ainsi s’inscrire dans la mouvance d’un concept pas complètement nouveau, lancé au début des années 90 par des artistes environnementalistes : le Slow Art. Le Slow Art n’est pas un mouvement artistique au sens plastique ou formel, il ne renvoie pas à une pratique  particulière, mais relève d’une posture engagée - dans laquelle se retrouve sans doute Julie Bernet-Rollande issue d’un examen de conscience quant à la société de consommation appliquée au monde de l’art, et de son marché, dans sa dimension spéculative.

Evaluant la responsabilité de l’artiste en tant que producteur d’objets surnuméraires dans un monde déjà saturé d’objets, les partisans du Slow Art invitent les artistes à réfléchir, entre autres, sur la nécessité de leur production, par rapport à l’inutilité d’une surproduction standardisée, sur les conditions matérielles de production, par rapport à une éthique environnementale mais aussi à une pratique artisanale...

 

Décélérer le temps, repenser l’espace de la nature comme « espace de contemplation», - à l’instar de l’historien de l’art du début du siècle dernier Aby Warburg souvent cité par les défenseurs du Slow Art- , tel est précisément le travail quotidien de l’artiste, au travers de ses dessins qui tous, ensemble et séparément, l’engagent, presque malgré elle, dans une œuvre « écologique », faisant émerger les interactions micro- comme macro-cosmiques, des cellules aux organes, des êtres vivants à leurs environnements, et posant là un écosystème.

Tel est le sens de ses « Interdépendance »(s). Tel est aussi ce qui explique comment, parmi une série de dessins plutôt abstraits, sera représenté de manière clairement figurative un animal - éléphant, singe.. - : interaction, écosystème, disparition d’une espèce...

 

Dans la simplicité fluide de son art et de son trait, au crayon, au fusain et parfois dans la dilution de l’aquarelle, et le choix du papier comme « medium pauvre » - bien que tendant à devenir aujourd’hui un important médium dans le paysage de l’art contemporain - et après plusieurs tentatives de couleur, elle opte finalement pour l’essentiel du noir et blanc, moins séduisant, plus méditatif, plus discret. Discrètement plus radical, aussi.

Abstraite ou figurative, la forme de la représentation n’est pas essentielle pour Bernet-Rollande. Elle collecte des visions, furtives ou rayonnantes, des bribes qui n’exigent pas d’être identifiées...Ce qui importe est la sensation du moment, la sensation du visible, la fugacité des impressions, la mobilité des choses davantage que leur stabilité, les traces, formes et empreintes, le mystère, donc.

Elle a appris, avec le temps, encore, à opérer un « lâcher prise » qui lui permet d’aborder les idées et les images qui lui viennent sans jugement. Un véritable travail de libération. Ainsi, elle ne produit pas par série mais plus probablement par glissements, une image en appelant une autre et la cohérence thématique, s’il en faut une, se crée a posteriori. De même la diversité des formats dépend de l’intimité du rapport voulu avec l’image, de la même manière que la nature, lorsque l’on passe du plus étendu au plus discret, demande une attention d’entomologiste, que ses dessins exigent parfois.

 

Julie Bernet-Rollande ferait bien sienne cette phrase de Junichiro Tanizaki « nous oublions ce qui nous est invisible. Nous tenons pour inexistant ce qui ne se voit point »** pour nous enjoindre justement, à regarder de plus près la secrète nature, dans une méticuleuse attention au vivant et un questionnement récurrent sur la place de l’homme dans ce monde, perpétuellement tiraillé qu’il est entre sa passion calculatrice et son idéal ascétique. Or, aujourd’hui, l’homme doit choisir, et de sa résolution s’ensuivra son plus proche avenir. Julie Bernet-Rollande, dans sa détermination à suivre sa voie hors des modes et des attendus, jusqu’à son parti pris de frugalité, a érigé en quelque sorte un ordre de bataille, et elle a choisi son camp.

 

*Pierre Rabhi – La part du colibri – Editions de l’Aube,2017

**Junichiro Tanizaki – Eloge de l’ombre – Editions Verdier, 1933

 

Marie Deparis-Yafil    -    Mars 2019

 

A Silent World

If one attempts to briefly define the work of Julie Bernet-Rollande, the phrase ‘silent world’ springs to mind. Yet it is obvious that the world of today is far from silent; in fact it’s probably noisier than ever. But that first impression of quiet is a sign that the artist has voluntarily distanced herself from the noisy reality of people and their immediate concerns. She is aware of a universe that expects nothing from humankind. Not that nature is silent – it hums with lifebut as in Bishop Berkeley’s empiricism, nature is deaf to itself, and in a way, only humans can hear it. Bernet-Rollande’s work is all about nature – forest, earth, this ‘silent entity’*, this infinitely powerful and massive presence that is nonetheless silent in the face of the invasive agitation of the human world.

 

She conveys this silence by that eulogy to slowness: drawing. Of all the media an artist can choose, it is drawing, with its age-old physical movement of pencil on paper, that best conveys the passing of time as the picture emerges. Working slowly, producing little, listening for the murmur of the natural world – such is the practice that places this artist beyond the standards of art, money and the media that rule contemporary art, so keen to worship the here and now.

 

The themes of economic crisis and ecological disaster have always preoccupied Bernet-Rollande, whether in private discussions or in her art, but now they are coming to a head,  facedby a world in peril. Contemporary concerns that lie at the heart of her work, from the exhaustion of world resources to consideration of living things, are becoming more and more urgent.

 

She could be part of a concept that isn’t exactly new: launched in the 1990s by a group of environmental artists, Slow Art doesn’t refer to the way a work of art is executed, nor to a particular practice, but refers to a sense of engagement – which Bernet-Rollande certainly has – resulting from an examination of conscience regarding the consumer society as applied to the art world and its money-making aspect. Slow Art practitioners assess the responsibility of the artist as producer of surplus objects in a world saturated with them, and invite artists to consider whether what they make is necessary in a world of irrelevant, standardised over-production. Slow Art also questions whether the material conditions of production are environmentally sound, and favours the artisan.

 

Bernet-Rollande’s usual approach to her work is to slow time down and think of nature in a different way, as ‘space for contemplation’ (the phrase used by German art historian Aby Warburg often quoted by Slow Art supporters). All her drawings, whether taken separately or together, form an ecological corpus, almost in spite of her. They reveal micro and macro interactions, from cells to organs, from living creatures to their environments, creating their own ecosystem.

 

This is the meaning of her ‘Interdependence’ drawings, and it also explains why, among all the rather abstract images, we find some clearly figurative depictions of animals such as elephants or monkeys, allowing the viewer to make the leap from interaction through ecosystem to endangered species.

 

Whether using pencil or charcoal or, sometimes, water colour, her lines have a fluid simplicity. She chooses to work on paper as a ‘poor medium’, although contemporary art is embracing it more and more. She has experimented with colour, but now she is opting for the essentials – black and white, less beguiling, more meditative and discreet. Discreetly more radical, too.

Whether abstract or figurative, the form of representation isn’t essential for Bernet-Rollande. She collects visions, furtive or radiant, scraps that don’t need to be identified. What’s important is the sense of the moment, of the visible, fleeting impressions, mobility rather than stability; traces, shapes, prints… and mystery.

 

With time she has learned to operate a ‘lettinggo’ that allows her to take a non-judgmental  approach to the ideas and images that occur to her. It’s truly liberating. She produces not by series but more probably by associations, one image conjuring up another, so that any thematic cohesion appears only after the event.

 

She chooses the dimensions of her works according to how intimately she wishes the pictures to be perceived, just as nature when seen closeup requires the attentive skills of an entomologist – which her drawings sometimes demand.

 

Bernet-Rollande would agree with the Japanese author Junichiro Tanizaki when he writes ‘We forget what we cannot see. We think that what isn’t seen doesn’t exist.’ ** She would ask us to look more closely at the secrets of nature, paying close attention to living things and questioning the place of humans in this world perpetually caught, as we are, between our  intellectual passion and our ascetic ideal. Now is the time for the human race to make a choice about the near future. Bernet-Rollande is set on following her own path, rejecting fashion and expectation. With her frugal art she has set out her battle plan.

 

*Pierre Rabhi – La part du colibri – Editions de l’Aube,2017

**Junichiro Tanizaki – Eloge de l’ombre – Editions Verdier, 1933

Marie Deparis-Yafil    -    March 2019
Translation by Cecilia Grayson and Bernard Pradat

 

Expositions:

 

2013,  Marrakech : Exposition individuelle, Café des épices dans le cadre de l’événement The Souk.

2016,  Casablanca : Participation à  CASA DRAWING première édition.

2017,  Casablanca : Participation à CASA DRAWING deuxième édition.

2020,  Genève : Exposition individuelle «Un monde silencieux», espace d’exposition FOOUND, Genève.

2023,  Les Grangettes : Exposition individuelle «Je vis, nous vîmes, vous  vîtes un monde silencieux dans la grange».

2023,  Pontarlier: Exposition collective «8x8», espace galerie Serial Paper.

2023,  Remoray : Exposition collective au Festival du palmier.

2024,  Pontarlier: Exposition collective  « Le bateau ivre » , expo-concert , espace galerie Serial Paper.

2025,  Orgelet: Exposition collective «Rencontre », Armoiries des arts .